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Un système de gestion des finances publiques moderne pour un Cameroun prospère
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La juridiction des comptes : un acteur au service de la sincérité dans la gestion des finances publiques

Le dispositif de contrôle des finances publiques au Cameroun a subi de profondes mutations depuis l’avènement de l’indépendance. Le contrôle des services de l’Etat est confié dans sa genèse à l’inspection des affaires administratives auprès du gouvernement du Cameroun  dans les années 1958, tandis qu’au Cameroun occidental, l’examen des comptes de tous les comptables et de toute personne chargée du recouvrement est confié au  « Accountant General ».

La Chambre des Comptes est créée au sein de la Cour Suprême du Cameroun Oriental, alors que la situation est stable au Cameroun Occidental après l’indépendance en 1960. En 1961, le Cameroun devient un Etat fédéral et la Cour Fédérale des Comptes est créée par ordonnance[1] n°62/OF du 07 février 1962 réglant le mode de présentation, les conditions d’exécution du budget de la République Fédérale du Cameroun, de ses recettes, de ses dépenses et de toutes les opérations s’y rapportant. Cette Cour Fédérale des Comptes a des attributions juridictionnelles en ce sens qu’elle est chargée du jugement des comptes des recettes et des dépenses des comptables publiques, mais elle a aussi un pouvoir de contrôle de l’emploi des deniers publics dans tous les cas où elle l’estime nécessaire.

En 1962, le conseil de discipline de l’exécution des dépenses publiques et le Tribunal Criminel Spécial sont créés au Cameroun Oriental pour compléter l’architecture des structures de contrôle. Le conseil de discipline est une instance administrative chargée de sanctionner les fautes de gestion des ordonnateurs, alors que le Tribunal Criminel Spécial est chargé de la répression des infractions relatives à la fortune publique. Au Cameroun Occidental, les infractions pour lesquelles le Tribunal Criminel Spécial est compétent continuent d’être déférées devant les juridictions civiles et militaires compétentes.

Une Direction Générale de Contrôle chargée de veiller au fonctionnement des services fédéraux et à la conservation du patrimoine national est créé en 1964. Leurs membres sont des contrôleurs d’Etat.  Ainsi donc, cette Direction Générale de Contrôle existe à côté de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême et de la Cour Fédérale des Comptes. Conscients des problèmes que cette cohabitation pourrait causer, les pouvoirs publics ont mis en place deux instructions qui définissent les relations entre la Direction Générale de Contrôle et la Cour Fédérale des Comptes et établissent de véritables passerelles entre la Direction Générale de Contrôle et la Cour Fédérale des Comptes notamment sur l’examen des comptes, le fonctionnement des services publics, la gestion de fait, la communication, les enquêtes et la formation professionnelle.

Ainsi, l’année 1969 marque un véritable tournant dans le contrôle des finances publiques au Cameroun. La Chambre des Comptes de la Cour Suprême et la Cour Fédérale des Comptes sont supprimées et leurs missions transférées à l’Inspection Générale de l’Etat (I.G.E.), devenue plus tard l’Inspection Générale de l’Etat et Réforme Administrative (I.G.E.R.A.) et enfin Contrôle Supérieur de l’Etat(CONSUPE). Cette situation durera jusqu’à l’avènement de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 qui a de nouveau institué une Chambre des Comptes au sein de la Cour Suprême.

Dans ce sillage, la Constitution[2] du 18 janvier 1996 de la République du Cameroun ordonne que la Cour Suprême est la plus haute juridiction en ” matière judiciaire, administrative et de jugement des comptes “. Elle prévoit l’existence d’une chambre des comptes au sein de cette juridiction. En vertu de l’article 41 de la Constitution, ” la Chambre des comptes est compétente pour contrôler et statuer sur les comptes publics de l’Etat et de tous ses démembrements notamment : les entreprises et établissements publiques ainsi que les collectivités territoriales décentralisées. Elle statue souverainement sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures des comptes.

Il convient d’abord de rappeler les attributions de la Chambre des Comptes telles qu’elles figurent dans la Constitution, et d’analyser les transformations apportées par la loi de 2003, la loi de 2006, la loi de 2007 sur régime financier de l’Etat ainsi que le décret de 2013 sur le Règlement Général de la Comptabilité Publique.

Ceci étant, le cadre juridique est posé par la loi[3] n° 2003/005 du 21 avril 2003 relative aux  attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême, précise en substance que la fonction juridictionnelle de contrôle des comptes est son activité principale. L’examen de la gestion, autre attribution traditionnellement reconnue à toute juridiction financière n’est malheureusement pas de son ressort. Structurée  en sections, la Chambre des Comptes est composée d’un Président, de présidents de sections, de conseillers et d’auditeurs. Le ministère public y est représenté par le Procureur Général et les magistrats sont nommés par décret du Président de la République. Ainsi, le législateur a voulu ainsi donner compétence à la Chambre des Comptes sur les comptes publics. Or les comptes publics sont établis par les organismes publics qui sont naturellement l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics. Ces comptes publics désignent tous les documents justifiant l’ensemble des opérations financières effectuées par les organismes publics sus mentionnés au cours d’un exercice déterminé. Il faudra donc attendre l’année 2003 pour que la Chambre des Comptes soit mise en place.

Toutefois, la loi de 2003 a une compréhension restrictive, voire en recul ou en contradiction avec la Constitution. Elle réduit la compétence de la Chambre des Comptes aux comptes des comptables publics patents ou de fait. Cette malencontreuse écriture a amené certaines entreprises publiques et parapubliques ainsi que certaines sociétés d’économie mixte qui n’ont pas de comptable public à estimer qu’elles ne rentrent pas dans le champ de compétence de la Chambre des Comptes. Ce problème est aujourd’hui résolu pour la plupart des entreprises, grâce à une sensibilisation de la Chambre de Comptes auprès des organes de gestion. Néanmoins, la pertinence de ce contrôle est qu’il permet au juge d’apprécier la qualité de l’exécution de l’ensemble des budgets publics. Contrôle qui lui permet, in fine, de porter une appréciation sur la gestion des ordonnateurs. En omettant d’attribuer cette mission à notre juridiction financière, elle se trouve privée d’une prérogative essentielle qui aurait permis sa vitalité, son dynamisme et par voie de conséquence, une grande adhésion et reconnaissance auprès de l’opinion publique citoyenne.

Par ailleurs, la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, tout en maintenant les compétences issues de la loi de 2003, ajoute deux nouvelles attributions à la juridiction financière à savoir « donner son avis sur les projets de loi de règlement présentés au Parlement » et « élaborer et publier le rapport annuel des comptes de l’Etat adressés au Président de la République.

Parallèlement, la loi n° 2007/006 du 26 décembre 2007 sur le Régime financier de l’Etat a clarifié le contenu de la loi de règlement que le Parlement doit voter. Elle comprend d’importantes dispositions qui nécessitent un contrôle éminemment technique et détaillé pour permettre à la Chambre des Comptes de donner son avis sur le projet de loi de règlement. Cette loi réaffirme de nouveaux principes pour les comptes de l’Etat qui doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière. Elle rend obligatoire la tenue de trois types de comptabilités de l’Etat, à savoir la comptabilité budgétaire des recettes et des dépenses, la comptabilité générale, et la comptabilité analytique. La comptabilité générale de l’Etat repose sur le principe de la constatation des droits et obligations et est décrite dans le compte général de l’Etat.

Ainsi, Conformément à l’article 126 (3) et (4) du décret n°2013/160 du 15 mai 2013 portant Règlement Général de la Comptabilité Publique[4], la juridiction financière doit donner son avis et produire un rapport de certification sera le compte général de l’Etat. L’avis et le rapport sont transmis au Parlement. Enfin, le régime financier de l’Etat propose désormais un budget programme et exige que les rapports annuels de performance des administrations accompagnent le projet de loi de règlement. Dès lors, ils doivent être examinés par la juridiction financière qui évalue ainsi les performances des administrations.

De surcroît, la CEMAC a élaboré en 2011 des Directives qui précisent désormais le statut de la juridiction financière au sein de la CEMAC et ses compétences. Ainsi, le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables des administrations publiques est assuré par une Cour des Comptes qui doit être créée dans chaque Etat Membre.

Dans ce chantier, le Cameroun a adopté les lois[5] n° 2018/011 du 11 juillet 2018 portant Code de Transparence et de Bonne Gouvernance dans la gestion des finances publiques et n° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques[6] arriment la gestion des finances publiques aux standards internationaux. Elles confèrent à la Chambre des Comptes de la Cour Suprême des compétences élargies correspondant à son statut de juridiction chargée du contrôle externe des finances publiques. L’article 86 de la loi portant RFE-AEP dispose que, le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables des administrations publiques est assuré par la juridiction des comptes. Les membres de cette juridiction ont le statut de magistrat. Elle est indépendante par rapport au gouvernement et au Parlement et autonome par rapport à toute autre juridiction. Elle décide seule de la publication de ses avis, décisions et rapports. Elle est l’Institution Supérieure de Contrôle de chaque Etat.

Cette juridiction financière a pour mission : d’assister le parlement dans le contrôle de l’exécution de la loi de finances ; de certifier la régularité, la sincérité et la fidélité du compte général de l’Etat ; de juger les ordonnateurs, les contrôleurs financiers et les comptables publics, de contrôler la légalité financière et la conformité budgétaires de toutes les opérations de dépenses et de recettes de l’Etat ; d’évaluer l’économie, l’efficacité et l’efficience de l’emploi des fonds publics au regard des objectifs fixés, des moyens utilisés et des résultats attendus ainsi que la pertinence et la fiabilité des méthodes, indicateurs et données permettant de mesurer la performance des politiques et administrations publiques.

Pour s’arrimer aux standards internationaux de manière spécifique, il serait impérieux d’adapter le cadre institutionnel de vérification et d’audit interne, de renforcer les capacités institutionnelles et opérationnelles de la juridiction des comptes et enfin de renforcer les capacités de contrôle du Parlement sur les finances publiques.

Relativement à l’adaptation du cadre institutionnel de vérification et d’audit interne et au  renforcement de son efficacité et de son efficience, il s’agira en premier lieu de définir et de mettre en place une nouvelle organisation générale des institutions de vérification et d’audit interne. Un schéma pour l’organisation des institutions faîtières de vérification et d’audit doit être opérationnel tout en précisant leurs fonctions, organisations et domaines d’intervention en vue d’assurer la synergie et la complémentarité de leurs actions.

Toutefois, au Cameroun conformément au Décret[7] N°2013/287 du 04/09/2013 qui définit le CONSUPE comme institution de contrôle externe et lui confère le statut d’ISC représente le Cameroun à l’INTOSAI et ses organisations régionales.  A ce titre, les missions du CONSUPE doivent être  recentrées sur l’audit interne tel que généralement défini « L’audit interne est une activité indépendante et objective qui donne à une organisation une assurance sur le degré de maîtrise de ses opérations et lui apporte ses conseils pour l’améliorer. L’audit interne s’assure que les dispositifs de contrôle interne d’une organisation sont efficaces. Il aide cette organisation à atteindre ses objectifs en évaluant, par une approche systématique et méthodique, ses processus de gouvernance, de management des risques et de contrôle et en faisant des propositions pour renforcer leur efficacité ». Dans ce cadre, le CONSUPE jouera un rôle essentiel pour ce qui concerne l’élaboration et l’harmonisation des méthodes et pratiques, l’élaboration et le respect des codes déontologiques, la coordination de la programmation des activités de contrôle et audits, l’évaluation périodique de l’efficacité et de l’efficience des activités des institutions de contrôle et d’audit interne.

Par ailleurs, la mise en place d’une  inspection générale des finances par le Ministère des Finances confortera cette administration de  disposer des compétences nécessaires pour lui permettre d’exercer ses responsabilités en matière de contrôle sur toutes les administrations publiques et toute personne morale bénéficiant  des dotations budgétaires.

S’agissant du renforcement des capacités institutionnelles et opérationnelles de la juridiction des comptes, le Régime Financier de l’Etat et des Autres Entités Publiques  attribue à la juridiction des comptes les missions traditionnellement dévolues aux institutions supérieures de contrôle (ISC). Les textes législatifs et réglementaires régissant l’actuelle chambre des comptes nécessitent une actualisation en conséquence. La chambre devra pouvoir, disposer de toutes les compétences juridiques pour exercer ses missions juridictionnelles et d’ISC.

Ses capacités opérationnelles seront ensuite progressivement développées pour assurer l’effectivité de ses missions. La juridiction des comptes doit, pouvoir : Exercer toutes ses missions d’appui au Parlement, dans les délais, conditions et formes imposés par la législation et la réglementation en vigueur ; exercer toutes ses missions relatives au jugement des comptables publics patents ou de fait et ; d’organiser le rattrapage des retards sur le jugement des comptes des exercices antérieurs.

Par ailleurs, le nouveau cadre législatif et règlementaire prévoit le jugement des comptes des ordonnateurs, des contrôleurs financiers et des comptables matières. Ces nouvelles missions de la juridiction des comptes doivent être précisées par des textes règlementaires de même que leurs modalités d’application. Cette juridiction des comptes développera également ses capacités d’audit et de contrôle et mettra en place, pour ces activités spécifiques, des procédures de coordination avec les institutions de contrôle et audit interne, notamment pour ce qui concerne la complémentarité des programmes annuels de contrôle et audit, l’harmonisation des méthodes, la diffusion des rapports d’audit et de contrôle, le suivi de leurs recommandations.

En ce qui concerne le renforcement des capacités du contrôle du Parlement sur les finances publiques, les lois de 2018 relatives au Code de transparence et au Régime financier ont modifié significativement les modalités et le contenu de l’examen des projets de loi de finances par le Parlement. Les deux chambres auront donc à revoir en conséquence leurs règlements intérieurs et mettre en place de nouvelles procédures pour l’organisation du débat d’orientations budgétaires, l’examen des projets de loi de finances (lois de finances, lois de finances rectificatives et lois de règlement), l’organisation de missions d’audit et de contrôle.

Dans ce sillage, l’Etat renforcera son appui aux parlementaires qui auront à faire face à l’accroissement de leur charge de travail. Il mettra à leur disposition toutes les informations et explications nécessaires ou utiles à leurs missions. Il veillera en particulier au strict respect des dispositions légales et règlementaires en la matière. En particulier, toute la documentation budgétaire telle que définie par la loi de 2018 sur le Régime financier sera préparée et déposée au Parlement en même temps que le projet de loi de finances.

L’Etat appuiera également les parlementaires par la création d’une structure administrative au sein de l’Assemblée nationale. Ses missions et statuts seront définis en relation avec les nouveaux règlements intérieurs des chambres parlementaires. Elle disposera des moyens nécessaires pour assister les députés et les sénateurs dans l’examen des projets de loi de finances.

De son côté, la juridiction des comptes renforcera aussi son appui au Parlement par l’amélioration de ses rapports annuels sur l’exécution du budget et la certification des comptes. Les rapports d’audit et de contrôle seront également transmis au Parlement.

A l’observation, de manière holistique, l’exercice de ces compétences dispersées dans plusieurs lois et règlements rapprochent la Chambre des Comptes de la Cour Suprême de la conception originale du contrôle des comptes publics de la Constitution de 1996 d’une part, et des Directives CEMAC d’autre part. Sans l’être sur le papier, la Chambre des Comptes exerce des prérogatives assez proches de celles d’une Cour des Comptes version CEMAC, en réalité proche d’une Cour des Comptes selon l’INTOSAI. Toutefois, l’absence de la compétence explicite sur le contrôle de gestion reste son tendon d’Achille.

C’est pour cela que la Chambre des Comptes a proposé, une révision,  voire une nouvelle écriture de la loi de 2003 qui intégrerait toutes les compétences y compris le contrôle de gestion, soit l’internalisation des Directives CEMAC par la Création d’une Cour des Comptes de pleine juridiction au Cameroun.

[1] L’ordonnance n°62/OF du 07 février 1962

[2] la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972

[3] La loi n° 2003/005 du 21 avril 2003 relative aux  attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême

[4] décret n°2013/160 du 15 mai 2013 portant Règlement Général de la Comptabilité Publique

[5] loi n° 2018/011 du 11 juillet 2018 portant Code de Transparence et de Bonne Gouvernance

[6] Loi n° 2018/012 du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques

[7] Décret N°2013/287 du 04/09/2013 portant organisation et fonctionnement du CONSUPE